Dans le cadre des RDV de la Transition Territoriale organisés par la Chaire des Territoires en Transition de Grenoble École de Management, chercheurs, praticiens et experts ont échangé sur la thématique “Comment passer d’un collectif à une communauté pour relever le challenge des “problèmes épineux” ?”.
Avec,
- Avec Anouk DEBARD, Coach professionnelle certifiée et formatrice ;
- Delphine Gatti, Responsable des programmes Innovations, GEM Labs ;
- Thierry Raevel, Directeur des Relations Parlementaires et des Territoires, ENGIE ;
- Mark Olsthoorn, Professeur Associé à GEM ;
- Jean-François WELMANT Directeur Business Development & RSE, Crédit Agricole.
Pour illustrer le propos, les animateurs se sont appuyés sur les travaux du dispositif People Lab initié par Crédit agricole Centre-est et ENGIE en 2022. L’objectif ? Faire un pas de plus en faveur de la qualité de l’air, « wicked problem » du territoire grenoblois.
Retour sur cette table-ronde avec Delphine Gatti, Responsable des programmes Innovation à GEM Labs et membre de la chaire Territoires en Transition.
Dans quel cadre ce RDV de la Transition Territoriale a-t-il été organisé ?
Ce RDV de la Transition Territoriale a été organisé dans le cadre de la chaire Territoires en Transition pour restituer les travaux d’expérimentation sur la qualité de l’air menés à GEM Labs de 2019 à 2022. Notre objectif était d’essayer d’identifier quels pouvaient être les business models innovants autour de la qualité de l’air et de ses données.
Cela s’est déroulé sous la forme de travaux de groupe très enrichissants. Mais nous avons fait le constat que les données sur la qualité de l’air sont des données très sensibles sur lesquelles il y avait plusieurs éléments de complexité. Il s’agit d’une donnée accessible à tous, une donnée citoyenne. C’est également une donnée invisible, une donnée pour laquelle nous ne sommes pas tous égaux en fonction de nos modes et lieux de vie. Enfin, c’est une donnée sur laquelle il est difficile de sensibiliser le public parce qu’il s’agit d’un problème “épineux”, c’est-à-dire difficile à appréhender.
Grâce aux travaux réalisés dans le cadre de la chaire, on s’est aperçus qu’il s’agissait non seulement d’un problème épineux, mais aussi qu’il y avait une approche par territoire à avoir. En effet, chaque habitant n’est pas sensible de la même manière, ne se trouve pas dans le même contexte. Une personne qui habite à Shanghai ne réagit pas de la même manière sur la qualité de l’air qu’une personne qui habite à Grenoble.
Nous avons rejoint en 2021 le dispositif lancé par ENGIE pour co-construire une démarche en trois étapes pour imaginer des solutions aux problèmes de qualité de l’air avec différentes parties prenantes des territoires de Lyon et Grenoble. D’abord, un sondage avait été réalisé fin 2020 pour récolter des données tangibles sur cette sensibilisation à la qualité de l’air pour les citoyens. Puis, nous avons contribué au People Lab qui est devenu le People Fab depuis 2022. C’est à ce moment-là que nos ateliers ont pris place.
Un parcours de réflexion
Dans le cadre des travaux menés à Grenoble, nous avons décidé de concevoir un parcours de réflexion, d’idéation et de mise en œuvre d’actions qui ont pris place dans GEM Labs. Selon les ateliers, nous avons conçu avec Anouk Debard, coach professionnelle qui a accompagné notre démarche, le parcours de réflexion que l’on souhaitait suivre. Pendant ces grandes étapes et selon les réflexions découvertes lors des groupes de travail, nous avons décidé d’y adjoindre des travaux de professeur-chercheurs, des éclairages, des témoignages qui ont contribué à notre réflexion, à notre apprentissage.
Ce groupe de travail a particulièrement bien fonctionné pour plusieurs raisons :
- La commande et l’esprit qui étaient initiés par ENGIE en toute humilité faire un pas de plus vers la qualité de l’air étaient très intéressants et ont été facteur clés de succès dans l’évolution de notre réflexion.
- La composition du groupe est un autre facteur clé de succès. En effet, nous sommes parvenus à identifier les bonnes parties prenantes : des étudiants engagés et intéressés par la problématique, désireux de mettre en place des initiatives ; des sachants comme ATMO qui sont des experts, mais qui ont eu cette adaptabilité de dire, nous sommes experts à certains moments et contributeurs à d’autres et des entreprises telles que ENGIE et le Crédit Agricole, désireux de lancer et surtout ouvrir la réflexion collective.
En quoi ce People Lab et le groupe de travail initié ont permis de nourrir les échanges lors du RDV de la Transition ?
Tous ces travaux avec le People Fab ont été fructueux et enrichissants à deux niveaux :
- La méthode : le fait d’appliquer à la qualité de l’air des approches académiques et notamment cette idée de dire que la qualité de l’air est un “wicked problem” était un fil rouge par rapport à notre méthode. Dans le cadre du RDV de la Transition Territoriale, notre objectif était de rendre compte d’une méthode qui est initiée et identifiée par des enseignants-chercheurs et la manière dont nous l’avons appliqué dans un cas concret avec la réalité du terrain et des entreprises, des étudiants, etc. Ce qui a été intéressant est la reprise de grands concepts qui tournent autour de ces “wicked problems” et de les adapter au parcours d’apprentissage que nous avons conçu. Avec Anouk Debard, nous nous sommes inspirés de l’approche des “wicked problems”, de divergences et convergences pour toujours se forcer à ouvrir le champ des possibles, comprendre l’environnement dans lequel on est pour ensuite décider de la problématique que l’on cherche à résoudre et quels types d’actions nous souhaitons pousser.
- Les initiatives : d’un collectif, nous sommes passés à une communauté. Nous avons désigné un collectif, c’est-à-dire une équipe qui était désireuse de travailler sur ce sujet. Nous avons travaillé pendant un an ensemble et à l’issue de cette année, nous sommes devenus une communauté.
Nous avons invité les personnes du dispositif à pousser les initiatives qui pouvaient prendre vie à travers un seul acteur, comme à plusieurs. Par exemple, à Grenoble Ecole de Management, cela a généré l’idée de créer un Open Badge sur la qualité de l’air que nous sommes en train d’expérimenter, pour matérialiser l’acquisition de compétences sur ce sujet.
Du côté du Crédit Agricole, cela a généré plus de sensibilisations, plus d’actions de communication, d’avoir des ambassadeurs autour de la qualité de l’air. Du côté d’ENGIE, toute une série d’événements se sont mis en place.
Au niveau des étudiants de GEM, l’association IMPACT est ravie d’avoir participé à ce dispositif car cela a ouvert le sujet de la qualité de l’air d’une nouvelle manière, ils ont participé à plusieurs événements et sont capables d’être ambassadeurs sur le sujet sur le territoire grenoblois.
Quelles sont les grandes idées ressorties des échanges lors du RDV de la Transition ?
Les grands enseignements qui ressortent de ce type de projet sont les changements de comportement qui sont clés dans l’approche des “wicked problems” et qui ne sont pas faciles à déclencher. L’idée de “premiers influenceurs” (early influencers) est ressortie. Sur ce type de “wicked problems”, nous avons intérêt à initier ce type de communauté avec des personnes qui ont envie de faire bouger les choses. Enfin, ce qui est vraiment difficile, c’est le passage d’un collectif à une communauté. Il faut d’une manière ou d’une autre arriver à maintenir une certaine dynamique sur le sujet.
Pour cela, il faut identifier des acteurs engagés, des acteurs capables de prendre le relais, de devenir “locomotive” sur certaines phases.
Quelles sont les perspectives du dispositif People Fab ?
Les perspectives du dispositif sont le site web qui est le point de rencontre de la communauté. Tout le monde doit continuer à faire vivre le sujet. Vous pouvez y retrouver toutes les initiatives portées par les membres de ce collectif.
Aussi, forts de cette expérience, de nos apprentissages sur la théorie des “wicked problems”, de la divergence et de la convergence, nous nous lançons cette année sur le thème des Zones à Faibles Emissions qui est aussi un “wicked problem” du territoire grenoblois. C’est un petit peu différent car il y a des dispositifs publics qui sont déjà en cours de déploiement, c’est un sujet “chaud” qui a une multitude d’effets rebonds.
Dans le cadre de la chaire, nous allons travailler sur les ZFE comme une opportunité à régénérer le territoire plutôt qu’une restriction de circulation, travailler sur le changement de perspectives des acteurs, accompagner et tester des initiatives en marge des dispositifs en cours.
Pourquoi l’approche des “wicked problems” vous intéresse-t-elle ?
Je m’intéresse à la soutenabilité et à la résolution des problèmes sociaux. Les “wicked problems” sont des problèmes persistants qui résistent aux solutions.
L’approche des “wicked problems” consiste à alerter sur la complexité et l’ambiguïté des problèmes sociaux et à sensibiliser aux limites des approches mécanistes. Elle s’applique aux problèmes de politiques publiques et aux problèmes sociétaux.
Les dimensions des problèmes rencontrés peuvent être diverses : politiques, comportements civiques, entreprises, etc.
Il s’agit d’un constat et non d’une méthodologie. En fait, face à un “wicked problem” il faut se méfier des méthodologies.
Qu’est-ce qui qualifie un “wicked problem” ?
Il s’agit de problèmes uniques et complexes. Il y a une incertitude sur les connaissances, les interventions ainsi que dans la définition même du problème. Ils impliquent de multiples parties prenantes avec des intérêts et objectifs souvent inconciliables.
Comment classer ces “wicked problems” ?
Pour les “wicked problems” il n’existe pas de solution générique. Par exemple, il y a des approches qui ont fonctionné pour un “wicked problem” mais qui échouent lorsqu’on les applique à un autre domaine. Les chercheurs essaient de développer des schémas qui aident à décomposer la complexité dans des dimensions spécifiques. L’idée est de faciliter un diagnostic plus spécifique pour les “wicked problems” et de pouvoir choisir une approche en fonction mais toujours adaptable.
Quels seraient les effets des interventions ?
Face à un “wicked problem” les effets des interventions sont incertains, même ambigus lorsque l’on se rend compte que différents acteurs ont des connaissances et des estimations différentes et qu’il n’y a pas de modèle capable de faire dissoudre l’ambiguïté. Cela ne veut pas dire que les modèles ne peuvent pas aider à développer une meilleure compréhension plus partagée. En pratique, des dispositifs qui visent à diffuser les technologies propres tels que l’isolation des bâtiments, l’efficacité énergétique, ou les ZFE, se heurtent à l’hétérogénéité des acteurs impliqués, leurs situations décisionnelles et leurs adaptations dans le temps. Il y a un grand nombre d’intérêts pas forcément conciliables qui entrent en jeu en même temps.
Quelles réflexions ont été générées suite à l’application des “wicked problems” dans le People Fab et des échanges avec les participants ?
Je trouve qu’il est très bien de partir d’une base d’humilité et d’audace, de se dire qu’il s’agit d’un problème complexe que l’on va quand même essayer d’améliorer. Cela a un aspect très positif.
L’implication des parties prenantes et l’utilisation de la méthode du design thinking, nous ont permis de mieux comprendre le problème. Nous sommes parvenus à définir des actions de communauté pour, dans la mesure du possible, faire un pas de plus en faveur de la qualité de l’air.
Cette initiative est une belle démonstration pour traiter les “wicked problems” et les limites des “solutions”. Ceux qui sont derrière ce dispositif People Fab l’ont bien compris. Si l’on fait un pas de plus, cela conduit à un apprentissage social. En effet, les actions de sensibilisation peuvent engendrer des intérêts plus larges. Cela permet d’élargir le champ d’actions dont découlent des initiatives auxquelles pourront se rattacher les parties prenantes.
Comme évoqué à la fin de mon intervention lors du RDV de la Transition Territoriale, il est important d’apprendre collectivement et d’autrui notamment dans la façon d’aborder les “wicked problems” tant au niveau des solutions que des limites.
Il y a une réelle dimension d’actions, d’approches d’apprentissage : on apprend sur la problématique, on rencontre des personnes, on découvre leurs perspectives, on se sensibilise, il y a des effets, des barrières, des changements de comportements. On peut ainsi redéfinir le problème et repenser d’autres interventions, tester d’autres initiatives.
L’apprentissage collectif est l’un des objectifs et l’un des résultats d’un dispositif comme celui-ci. Il est nécessaire de faire une évaluation de ces actions, d’en tirer et documenter les leçons pour la suite.